jeudi 12 mai 2011

Les Maisons

 Alors un maçon s'avança et lança : Parlez-nous des Maisons.
 Construis-toi d'abord par l'imaginaire une masure dans la solitude avant de te bâtir
 une maison entre les murs de la ville.
 car si tu aspires à rentrer chez toi au crépuscule,
 le vagabond qui t'habite, à jamais écarté et solitaire, connaît le même désir.
 Ta maison est ton grand corps !
 Celui-ci grandit au soleil et dort dans la nuit tranquille ; il n'ignore pas les rêves !
 Ta maison ne rêve-t-elle pas, elle aussi ?
 et rêvant, ne quitte-t-elle pas la ville pour le hallier ou la cime de la colline ?
 Puissé-je cueillir vos demeures dans ma paume et,
 tel le semeur, les éparpiller dans le bois et le pré.
 J'aimerais que les vallées fussent vos rues,
 les verts sentiers vos allées,
 que vous vous cherchiez au sein des vignes et
 rentriez les vêtements parfumés par la terre.
 Mais tout cela ne saurait se réaliser pour l'instant.
 Dans leur crainte, vos pères vous ont trop rapprochés.
 Cette crainte a encore de beaux jours devant elle.
 Les murs de vos villes sépareront un peu plus longtemps vos foyers de vos prés.
 Mais dites-moi, peuple d'Orphalese, qu'abritez-vous dans ces maisons ?
 Qu'est-ce donc que vous gardez derrière ces portes verrouillées ?
 Possédez-vous la paix, la quiète ardeur qui traduit la puissance ?
 Avez-vous des souvenirs, ces arches scintillantes qui enjambent les sommets de l'esprit ?
 Recelez-vous la beauté, qui mène le coeur des choses faites de bois et de pierre vers la montagne magique ?
 Dites-moi, les gardez-vous chez vous ?
 Ou ne connaissez-vous que le confort, et le désir du confort, cet être furtif qui pénètre en invité dans une maison, en devient l'hôte puis le maître ?
 Car il se métamorphose en dompteur, et à coups de crochet et de fouet, transforme en jouets vos plus nobles aspirations !
 S'il a des mains de soie, son coeur est de bronze. Il vous endort pour se dresser ensuite à votre chevet et moquer la dignité de la chair !
 Il ridiculise la santé de vos sens, les sertit d'ouate comme des vases précieux !
 En vérité, le désir de confort assassine l'âme passionnée avant de l'escorter, tout sourire, à son enterrement.
 Mais vous, fils de l'espace, vous qui ne pouvez rester en place, vous refuserez d'être pris au piège ou domptés. Votre demeure ne sera pas une ancre, mais un Mât !
 Elle ne sera pas cette gaze scintillante qui panse une blessure, mais la paupière qui protège l'oeil.
 Vous ne replierez pas les ailes pour franchir les portes, ne baisserez pas la tête pour éviter de heurter la plafond, ne craindrez pas de respirer de peur de lézarder les murs et qu'ils ne s'écroulent.
 Vous ne vivrez pas dans des tombes bâties par les morts pour les vivants !
 Et, bien que faite de magnificence et de splendeur,
 votre demeure ne renfermera pas votre secret, n'abritera pas votre désir.
 Car l'infinité en vous vit dans le palais du ciel,
 dont la porte est la brume matinale, les fenêtres les chants et les silences de la nuit !

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